Le cylindre horizontal conservait son aspect uniforme, mais le silence et la fraîcheur qui y régnaient conféraient à l’endroit une atmosphère lourde et inquiétante.
L'équipe qui avançait sur la gauche, et qui se trouvait légèrement en avance par rapport à celle qui marchait de l’autre côté, arriva en vue du miroir géant. La lampe du mercenaire qui suivait l'homme de tête parcourut la ligne régulière du sol et éclaira la surface polie de l’obstacle. Elle en épousa le tracé du haut en bas. Le miroir scintillait de toutes parts, comme si la lumière de la lampe l’avait éveillé de son sommeil dans l’obscurité.
Youssouf sortit sa propre lampe d'une de ses poches et la braqua sur le tunnel, examinant chaque centimètre carré à la recherche d’un piège éventuel. Quand il jugea qu’il avait enregistré un maximum d’informations, il ordonna à ses hommes de se retirer dans la vaste salle située après la première porte étanche.
D’un pas lourd, comme un automate, il s’y dirigea lui aussi en longeant le mur. Son corps tout entier fonctionnait au ralenti, mais répondait néanmoins à ses injonctions comme s’il avait compris d’instinct que, là-bas, plus loin, se trouvait le seul salut concevable.
Les survivants se regroupèrent dans la pièce immaculée, et Youssouf procéda aussitôt au décompte des forces. L’expression qu’il lut dans la dizaine de visages hagards qui le fixaient ne laissait aucun doute quant à leur combativité émoussée. Ali marchait rageusement de long en large, marmonnant de façon inintelligible.
Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Nous courons droit au désastre ! dit Youssouf en se laissant aller contre le mur.
Ali se tourna vers son supérieur en levant un sourcil moqueur.
Tu as peur ? Je te croyais mieux trempé !
Regarde nos hommes ! Essaye de les convaincre de retourner dans cet enfer ! rétorqua Youssouf en luttant contre la panique qui lui nouait les entrailles. Bien sûr que j'ai peur, mais je n’ai pas l’intention de laisser tomber pour autant. Pas maintenant.
Ali coupa ses récriminations d’un geste autoritaire. Sa voix avait une pointe de défi quand il répliqua :
Alors, nous allons appeler des renforts au campement et prendre la tête de l’expédition tous les deux. Seuls ! A moins que toi...
Youssouf se releva péniblement, les joues empourprées, mais l'ardeur de ses yeux ne laissait aucun doute quant à ses intentions. Sa décision était prise depuis longtemps. Il n’abandonnerait jamais. Surtout pas après ce que Yoran venait de leur faire endurer. Dans son coeur, il ne restait de la place que pour la vengeance.
Je suis d’accord. Nous ouvrirons le chemin.
Puis, comme s'il se rendait compte subitement de l'état dans lequel se trouvait le nervis de l'Ayatollah, il se hâta d’ajouter : “Fais-toi d’abord changer ton pansement et appliquer une compresse avec une bonne dose de baume analgésique. Sinon, tu ne tiendras jamais...
Médusé par cette soudaine sollicitude. Ali haussa les épaules et s'en alla sans un mot. Une conclusion s'imposait : Youssouf, avec cet air qui ne le quittait jamais d’intellectuel arraché à ses livres par un destin farceur, avait une idée très précise derrière la tête. L’essentiel c'était de trouver laquelle...
% ^ ^
Quand que son wagonnet fut arrivé au centre du contrôle du complexe souterrain de Yoran, le petit Tafik avait guetté le moment le plus propice pour fausser compagnie aux gardes de l’escorte. Personne ne faisait d’ailleurs vraiment attention à lui. Il n'avait pas bougé d'un pouce durant tout le trajet, se contentant de ruminer ses pensés tout en cherchant le meilleur moyen de devenir invisible. Il le trouva juste après le passage du premier poste de surveillance.
Le poste était installé dans une pièce minuscule au plafond très bas. Trois des quatre côtés étaient occupés par une batterie de consoles munies d’écrans et de claviers. Au fond, une porte communiquait avec le reste du complexe. Tafik, profitant de l'attroupement momentané qui s’était formé à l'entrée, accéléra le pas et franchit le seuil sans se retourner. 11 se mouvait dans cette ambiance encore inconnue avec l'aisance d'un familier des situations paradoxales. Habitué à se glisser dans la jungle particulièrement féroce des camps de réfugiés de son Kurdistan natal, la politesse silencieuse des gardes représentait une aubaine dont il comptait bien tirer bénéfice.
Une fois la porte franchie, un couloir assez large suivi d'une volée de marches conduisait aux entrailles de l'installation souterraine. Tafik suivit ce chemin jusqu'au premier carrefour qui croisa sa route. Faute de repaires, il décida de prendre la voie la plus étroite, car il déduisit que ce chemin avait de fortes chances d'être un peu moins fréquenté.
Les minutes suivantes, puis les heures, corroborèrent son choix. Il ne rencontra personne et. décidé à explorer ce dédale de galeries souterraines, il se fia à son instinct, évitant soigneusement les salles communes ou les ateliers.
ijfi ï{î sfc
Youssouf soulagea la pression que l'élastique qui maintenait ses lunettes exerçait sur son nez. L’arête en était devenue douloureuse. Après avoir fait exploser le miroir avec une charge, il avait parcouru la distance les séparant de la troisième porte étanche l’esprit perdu dans le perfectionnement de son projet, qui prenait maintenant sa forme définitive. Ali le tira de sa rêverie d'une voix où perçait quelque inquiétude.
- Nous arrivons. Youssouf.
Les yeux du Libyen, habitués à l’obscurité, se levèrent vers le visage de son subordonné. 11 remarqua alors qu’il avait un profil régulier, et ses narines frémissaient d'impatience. “Dommage ! Il est jeune, presque beau, courageux et déterminé... Malheureusement, je dois le sacrifier !”
En arrivant au tournant qui précédait la section du corridor conduisant à la dernière porte étanche. Youssouf, qui s’était laissé distancer insensiblement, se plaqua contre le mur opposé. Quand ce fut fait, il scruta les ténèbres à la recherche du renfoncement qu’il avait découvert plusieurs heures plus tôt en étudiant attentivement le plan de la galerie. Le renfoncement était bien là, à sept ou huit mètres sur sa droite. Il s’y glissa sans qu'Ali s’en aperçoive, s’accroupit contre le montant de la porte en métal et sortit de son sac à dos le pied-de-biche qu’il avait emportée.
Il n’eut aucune difficulté à forcer la serrure ni à tourner le loquet. Un couloir sombre s’enfonçait droit devant lui, dans l’axe du tracé du tunnel qu’il venait de quitter. Il s’agissait sans doute d’une galerie de service peu fréquentée. De minuscules veilleuses placées à intervalles réguliers permettaient d’emprunter ce chemin sans avoir recours à une source supplémentaire de lumière.
Youssouf se doutait que, au vu de la sophistication technologique des installations, des capteurs de chaleur ou de tout autre nature avaient déjà détecté sa présence. Le temps dont il disposait pour accomplir sa tâche lui était compté.
Le pistolet muni de son silencieux au poing, il parcourut une centaine de mètres avant d'arriver au premier tournant. 11 avançait prudemment, prêt à faire feu, et hasarda un timide regard de l’autre côté. L’étonnement lui fit relever le canon de son arme de quelques pouces vers le haut. Il relâcha un peu la pression de son doigt sur la détente et sourit avec dédain, amusé, en constatant le caractère ridicule de l’obstacle qui lui barrait le chemin.
* * *
Les bruits provenant du corridor principal arrivaient jusqu’à Tafik amortis par l'épaisseur de la roche. Guidé par le son, il accéléra le pas et s’engagea dans un couloir qui semblait se rapprocher. Après une course d’une dizaine de minutes, il atteignit une sorte d’étroit boyau éclairé sur to
No comments:
Post a Comment