Rien qu’à voir son visage, il comprit que les ennuis n’allaient pas tarder. Le deuxième passager lui était tout à fait inconnu.
Si je puis me permettre, Commandant, je suggère que nous plongions le plus vite possible. L’endroit est inhospitalier.
Arkady le regarda avec un petit hochement de tête. La remarque était déplacée, car il n’avait nullement l’intention de moisir dans les lieux.
Mais nous vous attendions, Camarade ! Suivez-moi, s’il vous plaît. Je suis persuadé que vous avez des informations passionnantes à me raconter. Allons prendre quelque chose de réconfortant au carré.
Vania se glissa dans l'écoutille d'une démarche lasse. Il était fourbu, affamé, et dans ses yeux dansaient encore les torches de l’émeute qu’il avait déclenchée avant de quitter la ville saoudienne de Jizan. Durant ces derniers jours, il avait été soumis à une tension nerveuse extrême. Et maintenant, en descendant vers le ventre du sous-marin, il s’y sentait étranger.
Le sous-marin ne s’attarda pas dans les eaux côtières saoudiennes et plongea dès que possible. Comme la plateforme continentale s’enfonçait presque à la verticale en direction de l'embouchure du golfe d'Aden, le Severodvinsk entama la dernière partie de son voyage à 300 mètres de profondeur.
Quand ils furent installés dans le carré, Arkady remarqua à la lumière du plafonnier à quel point Vania semblait las et désabusé. 11 lui servit un généreux verre de vodka et trempa lui aussi ses lèvres dans l’alcool pour endormir sa molaire, qui recommençait à le taquiner. La vodka aiderait aussi son invité à lutter contre la fatigue.
Je suis désolé de vous empêcher de prendre tout de suite un repos bien mérité, Vania, mais nous avons reçu des nouvelles instructions. D'après le texte, je suis censé vous en donner connaissance le plus tôt possible.
Vania haussa les épaules dans un geste d'impuissance ou d'indifférence.
Ne perdons pas de temps, Arkady. Passez-moi ce message.
Arkady sortit un feuillet plié en deux et le lui tendit. Vania crispa sa mâchoire aussitôt. Le message avait été décodé. Par conséquent, Arkady Voronej était déjà au courant de son contenu.
Vania parcouru le texte avec un hochement de tête. Outre les formules protocolaires de rigueur et les codes d'identification habituels, les phrases essentielles ne laissaient place à aucune interprétation équivoque. Il relut à haute voix :
"Vous devrez informer le commandant Voronej, et lui seul, du résultat de votre intervention, de vos recherches ainsi que de leur objet. Il prendra toutes dispositions utiles pour la conduite des opérations navales. Quant au choix des actions éventuelles tendant à supprimer la menace dont vous venez d'apporter la preuve, il sera de votre seul ressort d'en définir les modalités.'"
Le reste du message contenait diverses précisions concernant les moyens mis à leur disposition, ainsi que d’autres considérations d'ordre secondaire. L'essentiel se trouvait plus haut. En somme, ni à Vladivostock et encore moins à Moscou, personne ne voulait prendre la responsabilité de donner la suprématie à la marine sur les services secrets ou vice-versa. Ils se lavaient les mains et renvoyaient Arkady et lui dos à dos. En attendant, ils devraient trouver entre eux un terrain d'entente.
Encore un peu de vodka ?
Vania accepta volontiers l’offre de son interlocuteur. Il allait justement lui en demander un nouveau verre pour l’aider à avaler la couleuvre de l'Etat-Major.
Ainsi donc. Commandant, maintenant vous savez...
Je ne suis au courant de rien du tout, justement, dit Arkady d’un ton péremptoire. J'espérais que vous auriez l’obligeance de m'affranchir à ce sujet. L’Etat-Major ne m’a pas dit pourquoi vous avez été embarqués à bord du Severodvinsk, ni pour quelle raison nous devions vous débarquer sur les côtes saoudiennes. Qu'avez-vous fait exactement et quels renseignements avez-vous obtenu au cours de votre petite excursion ? Personnellement, je serais aussi curieux de savoir pourquoi les Saoudiens vous poursuivaient avec un tel
acharnement jusqu'à la plage, ajouta-t-il avec une pointe d’ironie.
Vania sirota lentement sa vodka, le regard dans le vague. La main qui tenait le verre tremblait légèrement. Son visage buriné était hermétique. Il ferma les yeux avec un soupir et se concentra pour rassembler ses idées. Les explications risquaient d’être longues, et il fallait surtout qu'il veille à ne pas perdre de vue qu'il ne pouvait pas tout lui dire. Seulement l'essentiel, et c’était déjà beaucoup trop à son avis.
Vous nous avez débarqués il y a quelques jours sur les côtes saoudiennes pour vérifier l'exactitude de certaines rumeurs parvenues au siège de nos bureaux de renseignement. Des rumeurs inquiétantes. Si inquiétantes, dois-je dire, qu'elles méritaient confirmation de toute urgence avant d'être traitées comme il convient.
Une veine minuscule battait contre la tempe de cet homme rompu aux vicissitudes du terrain, mais le ton de sa voix ne reflétait aucune hésitation. Il était détaché, froid et professionnel.
Je présume que si l'Etat-Major a détourné le Severodvinsk de sa route il devait avoir une très bonne raison de le faire, répondit Arkady. l’encourageant à poursuivre.
Je vais résumer en vous disant que nous sommes peut-être à la veille de la première explosion thermonucléaire arabe. Rien moins que ça.
Un courant glacial s’installa dans la pièce. Arkady Voronej commandait un sous-marin doté du dernier armement atomique sorti des arsenaux. Par sa propre formation militaire, il savait pertinemment que les services compétents auraient du mal à identifier correctement la source d’une explosion nucléaire venant d’ailleurs que de celles déjà répertoriées. Une erreur d'interprétation pouvait être lourde de conséquences.
Avez-vous eu, vous-même ou l'un des hommes de votre équipe, confirmation de cette hypothèse ?
Oui. Nous n'en avons plus le moindre doute. Les Arabes possédaient déjà, en ordre dispersé, c’est vrai, la technologie et les moyens financiers indispensables. Largement. Jusqu’à présent, le seul obstacle était l’absence de volonté politique de coordonner une stratégie d'ensemble. Maintenant, nous savons qu’ils ont réussi à aplanir cette difficulté.
Voulez-vous me faire croire qu’à l'instant où nous parlons les pays arabes les plus avancés technologiquement sont arrivés à un accord de coopération, au préjudice de leurs propres intérêts, qui sont souvent contradictoires ? dit Arkady d’un ton où perçait l'incrédulité.
Jamais de la vie ! Les gouvernements des pays concernés ne sont pas impliqués. Au moins pas directement.
Je vous avoue que je m'y perds un peu. Vania... Vous insinuez que la mise en chantier d'une bombe atomique arabe puisse être le fait d'une entité indépendante ?
Arkady ne réussit pas à cacher son scepticisme. Il avait été formé à l’école communiste, donc collectiviste. L'initiative privée était proscrite sous n'importe quelle aspect. Par sa formation, ou plutôt par sa déformation, il avait du mal à admettre que pareille entreprise puisse échapper au contrôle d'un état. Après tout, une bombe atomique était autrement plus difficile à mettre en chantier qu'une chaîne de conditionnement de bouteilles de Coca-Cola !
Le Commandant Voronej balaya ses propres doutes d'un geste de la main.
Admettons donc, pour principe, que les Arabes soient en possession de la technologie appropriée pour mettre en chantier une bombe atomique... Quelle était donc votre mission en Arabie Saoudite ?
Vérifier sur place l’exactitude de nos informations, puis essayer de saboter les installations où se trouvent les divers composants.
Et alors ? demanda Arkady.
Nous avons réussi, répondit Vania avec simplicité. Not
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