r. La main droite crispée sur le manche de sa lampe, il compta mentalement jusqu’à cinq et bondit vers l’avant dans un dernier effort pour éloigner ses hommes du véhicule piégé.
Il eut juste le temps de se rouler en boule sur le sol. Le souffle de l’explosion le secoua violemment tandis qu’une écharde de métal chauffée à blanc laboura son flanc à la hauteur du sein. Ali déglutit péniblement pour dégager ses tympans malmenés et secoua la tête d’un geste violent, presque enragé, comme s’il voulait se débarrasser de la douleur par la seule force de sa volonté.
Youssouf. qui était resté près de la porte blindée, évalua la situation avant de se décider à bouger. Il y avait certainement eu des blessés, mais leur objectif principal n'était pas compromis pour autant. D'ailleurs, si le besoin s’en faisait sentir, il pouvait appeler des renforts pour remplacer les éclopés. Le plus urgent était de remettre un peu d’ordre dans les esprits et de réagir avec célérité.
Il avait été témoin du geste courageux d'Ali. Malgré son antagonisme, il fut soulagé de conclure que l’Ayatollah ne l'avait pas choisi au hasard. Au milieu de la pagaille générale, il avait été le seul à se comporter avec sang-froid.
Hébétés et hagards, les hommes se tenaient serrés les uns contre les autres. Youssouf les regarda avec curiosité, son coeur battant sans doute aussi vite que le leur. Il prit alors conscience de sa propre peur. Inspirant profondément pour lutter contre l'angoisse qui le glaçait, il composa soigneusement son visage pour ne pas révéler ses émotions. L’obstination se lisait dans ses
yeux.
- Le danger est écarté, assura-t-il à ses hommes en marchant vers eux. Mettez les blessés sur le côté. Les autres, venez avec moi.
Puis, comme le sursaut qu’il espérait provoquer tardait à venir, il ajouta d’un ton partagé entre le mépris et la menace : "Allons, réveillez-vous ! Vous ne voulez pas vous venger ?”
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Les membres de l'équipe de garde étaient tournés vers l’écran qui transmettait ces faits. Ils avaient connu un moment encourageant quand le buggy avait explosé, mais l’espoir motivé par les premières images était vite retombé. Autour du Saoudien, les visages étaient soudain devenus graves. Il surprit même dans son entourage certaines réactions de nervosité.
J’ai compté quatre blessés légers, annonça Farid d'une voix atone. Les intrus sont encore au nombre de vingt-et-un.
Beaucoup trop nombreux... rétorqua Yoran avec un froncement des sourcils.
La chambre d'Irbit se trouvait au bout d’un long couloir dont les murs étaient recouverts d’un matériau synthétique blanc qui réfléchissait sur le sol une lumière opalescente. La pièce était isolée du reste du complexe souterrain. Comme dans les autres, l’ameublement y était suscint. Une commode aux lignes épurées était la seule entorse à l'austérité qui régnait dans les lieux.
Le professeur Keifer et Liam remarquèrent avec surprise que la jeune fille était habillée à l’occidentale. Elle portait un simple jean et un pull gris en cachemire au col roulé qui soulignait les formes de son corps gracieux. Retenues en hauteur par une broche en écaille, les boucles de sa chevelure aile de corbeau retombaient sur ses épaules. Elles épousaient avec un léger décalage l'humeur de ses gestes, en les amplifiant. Ce mouvement
avait en soi quelque chose de jeune et de vulnérable.
Liam hésita un moment, pris de court par ce changement auquel il n'était pas préparé. L'attitude d'irbit lui apprit qu’elle n’était pas particulièrement heureuse de les recevoir.
Votre grand-père nous a prié de vous tenir compagnie, avança-t-il en forme de préambule.
Irbit se composa le même visage hermétique qu’il avait déjà vu maintes fois dans les traits de son grand-père. Sa réponse tarda à venir.
Puisque mon grand-père est d'avis que je ne peux pas me garder toute seule, asseyez-vous donc, mais, franchement, je ne vois pas l'utilité de votre présence.
Nous ne voudrions pas avoir l'air de nous imposer, dit Liam en prenant place sur une chaise. Votre grand-père a peur, Irbit, peur pour ce qui peut vous arriver si cette troupe en armes réussit à pénétrer au coeur du complexe, vous comprenez ?
La jeune fille réagit comme si elle venait de prendre subitement conscience de la réalité. Sa voix était tendue.
Vous ne m’apprenez rien de très neuf.
Liam se rendit compte qu'il ne servait à rien d'entamer une discussion qui ne conduisait nulle part.
Où sommes-nous au juste ici, Irbit ? demanda-t-il d'un ton amical mais obstiné.
Irbit le fixa un instant, troublée par une question à laquelle elle ne s’attendait visiblement pas.
Chez moi... Non. vous êtes plutôt chez nous ! répondit- elle avec une pointe de fierté.
Keifer et Liam se consultèrent du regard. Ces paroles en forme de boutade suscitaient de nombreuses interrogations. Liam la questionna à nouveau :
Quand nous sommes arrivés devant le rocher qui masquait l'entrée du tunnel, vous nous avez donné l’impression que, vous aussi, vous vous trouviez à cet endroit pour la première fois de votre vie. Votre surprise était pareille à la nôtre, vous découvriez cette galerie en même temps que nous...
Irbit soupira, gênée, car la réponse qu'elle leur avait donnée était exacte, quoique incomplète. Comment pouvait-elle leur expliquer qu’elle était déjà venue ici, tout au moins son esprit, dans le refuge secret de son grand-père ? Comment leur faire comprendre qu’elle-même ignorait ce fait jusqu/à la veille ? Qu’elle n’en avait pris connaissance qu’à l’aide d'une méthode de régression mentale proche de l'hypnose, et que ces souvenirs étaient remontés dans son subconscient quand son grand-père l'avait délivrée du Message ? Et que ce Message demeurait pour elle complètement hermétique, mais que nonobstant le complexe était son "foyer” ?
Baissant les yeux, Irbit parut se refermer et avala nerveusement sa salive.
Ma maison est ici, je n'en ai pas d’autre. C’est vrai, je suis aussi désorientée que vous, mais mon grand-père m’a fermement assurée que nous nous trouvions dans le seul endroit où nous pourrions vivre en paix.
Liam se demanda quels arguments avait dû utiliser le vieil homme pour la convaincre qu’ils étaient en sécurité. A sa connaissance, au moins deux organisations terroristes essayaient toujours de la capturer, sans compter la trentaine de mercenaires qui progressaient en ce moment même dans le tunnel.
Admettons, concéda-t-il en donnant à sa voix une nuance d’apaisement. Mais ce complexe, et ça vous devez l’avouer, a été construit dans un autre but que celui de servir de foyer !
Désorientée, Irbit leva la tête vers l’Irlandais. Le calme de son regard bleu-vert la rassura. Elle essaya de se convaincre qu'elle pouvait se fier à eux, mais il lui était difficile d'oublier les paroles que son père lui avait si souvent répétées : “Tu n’es pas une fille comme les autres, Irbit. Ton destin ne t'appartient pas, il a été tracé. Le seul abri que tu puisses trouver est au sein de ta famille, nulle part ailleurs. Souviens-toi, Irbit, tu ne peux faire confiance à personne, tu m’entends ? A personne !”
Liam la fixait avec une telle intensité que la jeune fille fronça les sourcils et une détresse profonde se dessina dans ses yeux.
Quel était le contenu de ce Message que vous deviez lui
livrer ?
Au début, ses lèvres entrouvertes formèrent des mots dans un souffle à peine perceptible. Peu à peu, sa voix reprit de l'assurance. Son regard était toujours chargé d’appréhension, mais la méfiance avait disparu. Liam lui avait sauvé la vie en risquant la sienne, et son père n’était plus là pour la protéger.
Il y a déjà très longtemps que mon grand-père a découvert le tréso
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