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intenant pour quelle raison nous ne pouvons pas te croire ?”
Irbit avait écouté ces explications avec un intérêt que son geôlier était loin d’imaginer. Pendant des années, son père l’avait volontairement maintenu dans l’ignorance la plus totale quant au rôle qu’ils entendaient lui faire jouer. Il lui avait tenu de propos assez vagues à deux ou trois reprises, mais refusait de s'expliquer sur le fond.
Alors, Irbit, ne crois-tu pas qu’il n’est que temps que tu me dises la vérité ?
Youssouf avait parlé d’un ton amical, jouant à la perfection le rôle de confident qu’il s’était attribué.
La vérité ? Mais je viens de vous la dire ! Je ne suis au courant de rien... C’est aussi simple que ça ! Mon père m’a promené pendant dix-huit ans d’un pays à l’autre, d’une ville ou d’un quartier à un autre, sans me fournir la moindre explication.
Sa voix devint un murmure quand elle poursuivit : “Il n’a jugé bon de me confier qu'une seule chose : que j’avais été destinée à accomplir une grande tâche. Un jour. Mon grand-père m’avait choisie pour mener à bien une mission supposée apporter le bonheur à des millions de personnes.
Des paroles... Pour moi, ce ne sont que des mots !” Youssouf s’accorda quelques instants pour faire le point. Il se servit une autre tasse de thé, absorbé dans ses pensées. Les éléments qu’ils avaient recueillis jusqu’à présent confortaient les affirmations de la jeune fille. Elle avait résisté à toutes sortes de pressions, physiques et morales. Et la fouille méthodique, tant sur elle que sur ses bagages, n’avait strictement rien donné.
Pourtant, il avait la nette impression qu’il existait une faille. Ils avaient oublié un détail, il en était intimement persuadé. Ses camarades et lui avaient négligé un fait essentiel qui contenait la clé de cette énigme. Son problème était de trouver lequel.
Il posa son verre vide sur la table installée au milieu de la pièce et remarqua qu'elle était recouverte d'une toile cirée usée jusqu’à la trame. Il se retourna vers la jeune fille, la fixa avec une
lueur dubitative dans les yeux, puis, sans ajouter un mot, quitta la pièce en secouant la tête.
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Quand Youssouf rentra au salon où les divers membres de l'équipe avaient pris l'habitude de se réunir, Larbi posa sur un guéridon le journal qu'il était en train de feuilleter. Il l'interpella aussitôt :
As-tu réussi à la faire parler ?
Le ton même de la question contenait explicitement une réponse négative. A son avis, Youssouf, avec ses manières douces, sa voix posée et ses faux airs compatissants n'obtiendrait jamais des résultats probants. Ou si, peut-être, mais trop tard.
Nous avons discuté un moment, dit Youssouf, imperméable à l'agressivité de son camarade. A son âge, on ne reste pas insensible au souffle chaud après le froid. Et toi, en agissant comme une brute, tu n’es arrivé qu'à la terroriser. La petite a peur, mais sa crainte la fait se replier sur elle-même. Si elle se renferme dans sa coquille, tu auras beau la frapper, elle ne te dira rien.
“Tu sais, Larbi, c'est de la petite fille de Yoran que nous parlons ! Sa fragilité n'est qu’apparente."
Youssouf se laissa tomber sur un canapé en tissu fleuri face au fauteuil occupé par son compagnon. Personne ne lui avait demandé son avis quand l’équipe avait été constituée. Et depuis le début de cette étrange opération, il avait eu maintes fois l’occasion de le regretter. Il était entouré de quatre jeunes exaltés, habiles au couteau, courageux jusqu’à la témérité, mais leur individualisme empêchait l'indispensable cohésion du groupe.
Alors, où est-ce qu'elle l’a caché, ce foutu Message ?
Youssouf n'avait aucune envie de répondre à ce jeune
blanc-bec qui avait failli tout gâcher, dominé par son impétuosité et par ses bas instincts, souvent incontrôlables. Néanmoins, il se composa une attitude détachée et résuma son face à face avec la petite du mieux qu'il le put.
Elle ne sait pas grand chose, j’en suis persuade. Elle se contente simplement d'obéir à un ordre. Sans en comprendre le sens. Dommage que nous ayons raté le père ! Lui, en revanche, aurait pu nous dévoiler la deuxième moitié de cet énigme. Mais comme nous ne l'avons pas sous la main, je crains que nous ne soyons obligés d'utiliser la fille pour forcer le grand-père...
Je ne vois pas en quoi le père d'Irbit aurait pu nous être utile. C'est elle, la porteuse du Message, pas lui !
C'est exact, mais Yoran l'ancien est beaucoup plus futé que tu ne le penses. La fille n'est que le contenant. Quand au contenu, nous allons obliger ce vieux fou à nous le livrer.
Larbi s’agita sur son siège, agacé. Les fioritures dialectiques de son compagnon le mettaient mal à l'aise. Malgré ses belles manières, il n'avait appris rien d'essentiel.
Je vais lui rendre une petite visite, tout à l'heure, dit-il avec une lueur cruelle dans les yeux. Quand j'en aurai terminé avec elle, cette belle garce se souviendra brusquement de son passé, de son présent et de son avenir !
Le ton de sa voix impliquait une telle menace que Youssouf répliqua sur le champ :
Attention ! N'oublie pas que la petite est notre seule monnaie d'échange. Si tu la massacres, le vieux Yoran ne coopérera jamais. Et c'est lui qui détient la clé de tout. Sans ce qu'il a dans la tête, Irbit ne nous sert à rien !
Ne t'en fais pas, elle n'en mourra pas. Je vais juste me la faire d’abord... Après, elle comprendra de quel côté se trouve son intérêt.
Youssouf se leva lentement, s’avança vers Larbi d'un pas ferme et ses lunettes cerclées d'écaille le fixèrent avec une rudesse que celui-ci ne lui soupçonnait pas.
Si tu la violes, si tu touches un seul cheveu de sa tête, je te jure, Larbi, que je te tue !
Larbi soutint son regard un bref moment. Il finit par se lever à son tour et quitta la pièce, étonné par ce qu'il avait lu dans les yeux de son compagnon. Youssouf. le calme et posé Youssouf, était certainement capable de le tuer. Mieux encore, il s'en serait fait un plaisir et un devoir.
Banlieue de Médine, le 16 septembre
Vous êtes le docteur Tara...?
Liam, qui se sentait perdu au milieu de la foule, se retourna, surpris, tant par le ton affirmatif de la question que par l'accent texan à couper au couteau de la voix juvénile qui la lui avait posée.
Il se trouva face à un garçonnet d'une douzaine d’années. Ses cheveux très noirs et bouclés masquaient son front, et sa tête un peu anguleuse lui donnait en permanence un air buté, si ce n'était que son visage pouvait, comme à présent, s’épanouir soudain en un sourire chaleureux. Du haut de son mètre vingt, l’enfant détaillait l’Irlandais de ses yeux vifs, pénétrants, comme s'il avait voulu tout apprendre de lui d’un seul regard. Il s'approcha pour lui dire à voix basse :
Je m’appelle Tafik. Je viens de la part de George Linnemann. Je dois vous conduire en ville.
Puis, comme Liam restait interdit, amusé par l’accent et par la désinvolture du garçon, il insista :
Dépêchez-vous, docteur. Nous n’avons que très peu de temps. Il faut que vous changiez de vêtements le plus vite possible. Vous n’avez aucune chance de vous approcher de Médine habillé à l’occidentale. Les infidèles n’ont pas le droit de rentrer dans la ville. Alors, on y va ?
Tu peux m’appeler Liam, petit, dit-il en emboîtant le pas de son jeune guide, tout en l’observant à la dérobée.
Tafik se mouvait au milieu de la foule qui s’affairait dans le marché de Al-Hamra avec l’aisance d’un habitué. Il se déplaçait très vite, avec de petits pas rapides, et ses sandales rafistolées avec des bouts de ficelle soulevaient une poussière ocre.
Tu parles très bien l’anglais, Tafik. Où l’as-tu appris?
Plus tard, docteur.
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